Les Crimes de Snowtown : aux antipodes de la loi


Le titre original des Crimes de Snowtown est Snowtown. Comme on le voit, le titre adopté en français pourrait faire penser à une oeuvre qui sacrifierait aux conventions du cinéma policier ou du thriller contemporain. Pourtant, le premier long-métrage de Justin Kurzel, qui fut présenté à la Semaine de la critique durant le dernier Festival de Cannes, est bien plus que cela. Appartenir ou non à un genre cinématographique précis est une question qui semble intéresser, en effet, bien moins son auteur que celle de décrire et de comprendre l'affirmation d'une forme de puissance souveraine du mal au coeur d'une communauté humaine, déclassée certes, mais dont l'authenticité sociologique se doit d'être indiscutable.

Le film a été inspiré d'un fait divers authentique survenu dans une petite ville banlieusarde au nord d'Adelaïde en Australie. Jamie est un adolescent de 16 ans qui vit avec sa mère divorcée et ses frères. Alcoolisme, chômage, désoeuvrement gangrènent une petite communauté au sein de laquelle des comportements sexuels déviants (viols, abus divers) semblent engendrer, tout en y contribuant, une forme de désespoir. Un jour apparaît John, un nouveau compagnon de la mère de Jamie. Personnage charismatique, visiblement sûr de lui, incarnation d'une forme de maîtrise, il fascine l'adolescent maltraité par son frère et semble être, pour lui, une promesse de salut avant, progressivement, de révéler son vrai visage, celui d'un psychopathe, entraînant ceux qui l'entourent dans une spirale de violence et de meurtres.

Obsédé par la volonté de débarrasser le paysage des pédophiles, des "pédés" et de tous ceux qu'il considère comme des pervers, le personnage passe du statut de grande gueule, pérorant à perte de vue au cours de longues soirées arrosées, à celui d'assassin froid. Celui que l'on prend pour un velléitaire hâbleur passe, en effet, à l'acte, démontrant une incapacité pathologique à ne plus distinguer le fantasme sordide et les conséquences réelles de l'action humaine.

La principale qualité du film de Justin Kurzel réside ainsi dans une certaine capacité à dépasser le naturalisme (la description d'un groupe social marquée par un certain déterminisme) grâce à un sens certain de la fatalité, une manière d'introduire la tragédie dans une trivialité humaine qui effleure parfois l'abjection. C'est à un dosage particulièrement réussi entre le temps indifférent et terne de la chronique sociale et celui, intense, du crime, que l'on doit cette alchimie.

Les Crimes de Snowtown présente le récit de la mainmise progressive d'un "mauvais père", d'un géniteur diabolique pervertissant la notion de loi, sur un adolescent fragile. L'acteur Daniel Henshall incarne remarquablement cette séduction du mal, rendue possible dans un monde dont tout horizon, toute perspective, toute transcendance, semblent avoir irrémédiablement disparu. Un univers où l'idée d'une différence entre le bien et le mal a cessé d'avoir la moindre pertinence.

Critique LeMondeCinema


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