Procès du meurtre de Kim Jong-nam: retour sur un assassinat rocambolesque


Deux femmes accusées de l'assassinat en Malaisie du demi-frère de Kim Jong-un sont jugées à partir lundi pour ce mystérieux crime aux relents de guerre froide.

Tueuses à gages ou victimes d'une fausse caméra cachée? Les deux jeunes femmes accusées de l'assassinat de Kim Jong-nam -le demi-frère en disgrâce du dirigeant de la Corée du Nord Kim Jong-un- sont jugées à partir de lundi 2 octobre. L'Indonésienne Siti Aisyah et la Vietnamienne Thi Huong ne se sont guère exprimées en public depuis leur arrestation après l'homicide perpétré le 13 février à l'aéroport international de Kuala Lumpur, en Malaisie.
Âgées d'une vingtaine d'années, elles sont accusées d'avoir projeté au visage de Kim Jong-nam un agent neurotoxique, le VX, version hautement mortelle du gaz sarin. La victime est morte au bout d'une vingtaine de minutes d'agonie. Tout au long de l'enquête, les accusées, qui risquent la peine de mort, ont nié avoir voulu commettre un assassinat. Elles ont répété avoir été trompées, qu'elles croyaient participer à une émission de télévision du style "caméra cachée".
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De nombreuses questions sur ce crime hors normes restent toujours sans réponse: comment deux femmes vivant dans des conditions précaires comme de nombreux migrants en Malaisie ont-elles pu être impliquées dans l'assassinat d'un tel personnage? Comment une substance aussi mortelle que le VX a-t-elle pu être utilisée dans un aéroport sans faire d'autre victime que Kim Jong-nam? Retour sur ce mystérieux crime aux relents de guerre froide qui avait provoqué une crise diplomatique.

Attaqué au visage dans le hall de l'aéroport

Le 13 février 2017, Kim Jong-nam, 45 ans, patiente dans l'aéroport international de Kuala Lumpur, en Malaisie. Il doit se rendre à Macao, ancien comptoir portugais devenu le paradis des casinos -endroits qu'il fréquente assidûment- dans le sud de la Chine. Décrit comme un noceur aux activités professionnelles floues, le fils aîné de l'ancien dirigeant nord-coréen Kim Jong-Il avait pris ses distances avec son pays natal. Sa personnalité ne collant pas vraiment à celle d'un dirigeant pour le régime. En 2011, alors qu'il était en exil depuis huit ans, il avait publiquement critiqué le système de succession héréditaire du pays.

Photo-montage montrant la Vietnamienne Doan Thi Huong (g) et l'Indonésienne Siti Aisyah.
Photo-montage montrant la Vietnamienne Doan Thi Huong (g) et l'Indonésienne Siti Aisyah.
afp.com/Handout
Dans le hall de l'aéroport, deux femmes s'approchent progressivement du quadragénaire, sous l'oeil des caméras de vidéosurveillance. Elles lui jettent alors un liquide au visage, avant de s'enfuir. Le Nord-Coréen demande de l'aide autour de lui et est envoyé au dispensaire de l'aéroport. "Il disait souffrir de maux de tête et semblait sur le point de s'évanouir", avait raconté le chef de la police criminelle de l'État de Selangor. Assis sur une chaise en plastique dans la clinique de l'aéroport, Kim Jong-nam agonise, des traces de VX sur son visage.

Les suspectes prétendent avoir été dupées

Deux jours après le meurtre, les deux suspectes sont interpellées. La Vietnamienne Thi Huong, 28 ans, travaille dans un "lieu de divertissement", selon la police. L'Indonésienne Siti Aisyah est masseuse dans un spa pour hommes, dans la banlieue de Kuala Lumpur. Âgée de 25 ans, elle est divorcée et mère d'un enfant. Toutes deux prétendent avoir été dupées par des inconnus et affirment qu'elles croyaient participer à une caméra cachée. Le but: asperger le visage de la victime d'un liquide inoffensif.
Le chef de la police malaisienne écarte ses déclarations. "Bien sûr qu'elles savaient" que c'était du poison, estime-t-il. "La dame s'éloignait vers les toilettes avec les mains en avant. Elle était parfaitement au courant que c'était toxique et qu'elle devait se laver les mains."
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Mais comment les jeunes femmes ont-elles échappé à la contamination, alors qu'une quantité de VX comparable "à une tête d'aiguille" peut tuer un adulte en quelques minutes? "Il faudrait porter des habits en caoutchouc très épais pour se protéger", avait d'ailleurs expliqué à L'Express Jean-Pascal Zanders, spécialiste des armes chimiques et biologique.

Tensions diplomatiques

Deux autres suspects sont interpellés par la police. Parmi eux figure Ri Jong-Cho, un Nord-Coréen vivant à Kuala Lumpur. Présenté comme travaillant dans l'informatique, il serait diplômé d'une université nord-coréenne en science et médecine. Âgé de 47 ans, il serait originaire de Pyongyang et aurait travaillé dans un centre de recherche en Inde.
D'autres éléments nord-coréens viennent s'ajouter à l'affaire. Au moment de l'attaque dans le hall de l'aéroport, quatre hommes observent la scène depuis un restaurant de l'aérogare et s'envolent aussitôt pour Pyongyang. Trois autres Nord-Coréens se barricadent dans leur ambassade en Malaisie, attendant que les tensions diplomatiques entre les deux pays s'apaisent.
Car Pyongyang, en colère, accuse la Malaisie de s'associer aux "forces hostiles" -notamment la Corée du Sud qui avait immédiatement accusé son voisin du Nord d'avoir orchestré l'assassinat- pour faire du tort à sa réputation. La Corée du Nord assure également qu'elle ne reconnaîtra pas le rapport d'autopsie. En réponse, la Malaisie rappelle son ambassadeur à Pyongyang et la Corée du Nord fait de même.

Une enquête "entourée de mystère"

Malgré la présence des quatre Nord-Coréens à proximité du lieu de l'attaque, Siti Aisyah et Thi Huong seront seules devant la Haute Cour de Shah Alam, lundi. S'appuyant sur ces zones d'ombre, la défense n'a eu de cesse de présenter ses clientes comme des boucs émissaires.
Les avocats reprochent au parquet de ne pas leur transmettre des pièces importantes du dossier et critiquent les investigations. "La manière dont la police a mené l'enquête dans cette affaire est entourée de mystère", a déclaré l'avocat d'Aisyah, Gooi Soon Seng, accusant les autorités de ne pas coopérer.
Mais le parquet insiste sur le fait que les deux femmes auront droit à un procès équitable. "Nous nous baserons sur les preuves", a affirmé le procureur Muhamad Iskandar. "Nous sommes conscients que la terre entière nous observe, nous ne pouvons pas nous écarter des faits et des preuves." Trente à quarante témoins seront entendus au cours du procès qui doit durer plus de deux mois.

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