À l’occasion de la visite en RCA du secrétaire général
de l’ONU Antonio Guterres, arrivé mardi, Martine Villeneuve, chef de
mission de l’ONG Danish Refugee Council (DRC) dans le pays, revient pour
Jeune Afrique sur la situation sécuritaire et les conditions de travail
difficiles des ONG sur le terrain.
Jeune Afrique : Dans une lettre ouverte envoyée en août au
secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, plusieurs ONG opérant en
Centrafrique, dont DRC, se sont inquiétées de « la détérioration rapide
de la situation sécuritaire ». Comment cela se traduit-il pour vous sur
le terrain ?Martine Villeneuve : Le niveau d’incidents avec des ONG n’a jamais été aussi élevé. Il est même supérieur à celui de 2013 (année de la chute du président François Bozizé, ndlr). Quant au niveau de violence générale, il est en train d’atteindre celui de 2015. Seules Bangui et les provinces limitrophes ne sont pas occupées par des groupes armés. Le gouvernement manque cruellement de moyens, l’aide financière au pays ayant diminué.
Nous essayons d’avoir un dialogue avec tous les belligérants. Je pense que nous sommes tolérés par les groupes armés. Mais lorsque ces derniers s’affrontent, nous subissons souvent des pillages. Depuis quelque temps, cela devient presque systématique, même dans les zones plus calmes. Notre espace d’intervention se réduit de jour en jour.
Le niveau d’acceptation des ONG est bas sur le terrain, même à BanguiNous pâtissons aussi d’un problème de déconsidération. Le niveau d’acceptation des ONG est bas sur le terrain, même à Bangui. Il y a un manque de compréhension à propos de notre action, car nous n’avons pas encore pris l’habitude de communiquer efficacement avec le gouvernement. Des propos tenus à Bangui et visant des ONG peuvent se traduire en incidents à l’intérieur du pays, où le climat d’impunité est total. L’insécurité atteint parfois un tel niveau que nous devons partir. Cela a été le cas à Batangafo, où DRC a fermé sa base.*
Dans les zones où intervient DRC, la coordination avec les Casques bleus se passe bienQu’attendez-vous de la visite du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres ?
Nous devons le rencontrer ce soir. Ce sera l’occasion de lui poser des questions sur le renouvellement du mandat de la Minusca. Selon nous, il est essentiel qu’elle joue un rôle plus large en termes d’accès humanitaire. Certains appellent aussi à une meilleure coordination entre Casques bleus et humanitaires dans certaines zones. Je précise que dans les zones où intervient DRC, la coordination avec les Casques bleus se passe bien.
Nous aimerions aussi que le mandat de la Minusca, qui prévoit la protection des populations, s’élargisse pour s’atteler à la prévention des attaques. Ce n’est pas encore le cas. Ainsi, début septembre, tout indiquait que Bocaranga allait être attaqué. Mais il a fallu que le groupe 3R prenne d’assaut la ville pour que l’ONU envoie des Casques bleus d’élite (contingent rwandais et portugais). Depuis, les troupes se sont retirées et la population craint une nouvelle attaque.
Comment articulez-vous votre travail avec l’État ?
Le gouvernement cherche à établir un dialogue plus constructif avec les ONG, mais il prépare une loi qui risque de nuire à notre efficacité et à notre vitesse d’intervention sur le terrain. En effet, ce texte va nous contraindre à demander des autorisations pour toutes les activités que nous mettons en œuvre. Ce n’est à mon avis pas une bonne solution.
Formaliser la relation ONG-État par une loi risque de ralentir nos interventions dans l’arrière-pays, où il n’y a personne d’autre pour venir en aide à la population. Cela n’empêche pas d’améliorer notre communication avec le gouvernement, mais il faudrait faire cela par d’autres moyens.
La religion est instrumentalisée mais ce n’est pas le moteur du conflitAvez-vous observé dans les zones ou vous travaillez des « signes avant-coureurs de génocide » selon la formule du secrétaire général adjoint de l’Onu pour les Affaires humanitaires, Stephen O’Brien ?
Dans les zones où DRC travaille (surtout à la frontière avec le nord du Cameroun et avec le Tchad, et dans la région de Bangui) nous n’avons pas observé de tensions pouvant mener à un génocide. Il n’y a pas de tensions inter-religieuses en tant que telles, mais des tensions entre éleveurs et agriculteurs, ou entre groupes armés. Ces tensions recoupent des fractures religieuses, les éleveurs étant musulmans, et les agriculteurs chrétiens. La religion est instrumentalisée mais ce n’est pas le moteur du conflit.
*Jeudi 7 septembre, la base opérationnelle du Danish Refugee Council à Batangafo a été attaquée et pillée par des hommes armés. « À plusieurs reprises les personnels humanitaires ont reçu des menaces de mort. La base a été entièrement pillée. Les personnes déplacées ont été contraintes à nouveau de fuir. (…) La quasi-totalité des organisations humanitaires présentes à Batangafo a relocalisé ses personnels à Bangui et a donc dû suspendre temporairement ses activités », avaient déploré les Nations unies dans un communiqué publié le 12 septembre dernier.
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