AWID :
L’action en faveur des droits des femmes est assez active en Afrique de
l’Est mais, d’une manière générale, peu de documents sont élaborés dans
la région. Comment l’idée de rédiger le livre When I Dare to be Powerful
vous est-elle venue ?
ZAWADI NYONG’O : Les féministes de la région sont
conscientes depuis longtemps de la nécessité de produire des documents
sur ce qui se passe en Afrique. Une des priorités du Forum féministe
africain est de faciliter la documentation d’expériences de femmes et de
l’action féministe. La meilleure façon de parvenir à cet objectif est
au travers de la narration. C’est pourquoi lorsqu’Akina Mama wa Afrika
(AMwA) a accueilli le premier Institut de Leadership des Femmes
africaines (ILFA) pour les activistes du travail du sexe d’Afrique de
l’Est, celles-ci ont saisi l’occasion pour contribuer à la connaissance
du féminisme africain et en particulier d’histoires des femmes en
matière de droits sexuels en Afrique. L’ouvrage When I Dare to be
Powerful réunit plusieurs histoires remarquables, dont certaines ont été
vécues par des femmes qui étaient présentes à l’ILFA organisé en juin
2009 à Mombasa au Kenya. Durant l’Institut, nous avons invité les
participantes à parler de leur propre histoire et nous avons interviewé
huit d’entre elles. Au début de cette année, l’AMwA a décidé de compiler
certaines de ces interviews et d’en faire un livre. Nous avons demandé
aux femmes que nous avions interviewées si elles nous autorisaient
toujours à publier leurs histoires, avons effectué plusieurs entrevues
de suivi avec celles qui avaient donné leur accord et nous avons
finalement réuni cinq histoires lumineuses qui ont été reprises dans le
livre.
Notre objectif était de démystifier le travail du sexe, de présenter
des histoires différentes et alternatives et de partager ces récits de
façon accessible, créative et de lecture facile. Dans le contexte de
l’action en faveur du développement et des droits des femmes, la
tendance est à partager des informations à travers de rapports qui sont
généralement destinés aux bailleurs de fonds et aux partenaires du
développement mais qui ne sont pas facilement accessibles au grand
public ou même aux organisations de base que ces rapports sont censés
représenter. Nous avons considéré que la 4ème Conférence africaine sur
la santé et les droits sexuels était une occasion propice pour faire
connaître ces histoires et ce fut donc la première fois que le livre
était présenté à une instance publique régionale.
AWID : Quelles réactions le livre a-t-il provoqué ?
ZAWADI : Les réactions ont été étonnamment et
majoritairement positives. Le mouvement des travailleurs sexuels est en
plein développement dans le monde et le livre souligne la nécessité de
créer davantage d’instances pour les travailleuses du sexe qui sont
souvent obligées de travailler de façon clandestine, de se défendre
seules, de définir leur propre agenda du changement et de lutter pour
leurs droits humains. De plus, il a été extrêmement gratifiant de voir
comment la population générale d’Afrique de l’Est a réagi à ce livre et a
participé au débat sur le travail du sexe et sur les droits des
travailleuses du sexe. Le lancement du livre au Centre culturel français
à Nairobi, à l’occasion de la Journée internationale de la femme 2010, a
suscité un très grand intérêt d’un groupe bigarré de personnes. En
fait, l’événement a fait salle comble et certaines personnes se sont
vues refuser l’entrée par manque de place. Environ une semaine plus
tard, en compagnie de Peninah Mwangi, directrice exécutive du programme
Bar Hostess Empowerment and Support Program (BHESP), première
organisation de défense des droits des travailleuses du sexe au Kenya,
qui a l’audace d’apparaître à la télévision nationale, nous avons été
interviewées dans le cadre d’une populaire émission - débat ou talk-show
transmise en direct sur plusieurs antennes régionales et dans plusieurs
pays du continent.
Nous nous attendions à un grand nombre de réactions négatives ; nous
avons toutefois été agréablement surprises de constater que la majeure
partie des auditeurs qui appelait le programme se montrait favorable et
soutenait notre position de défense des droits humains des femmes,
indépendamment de tout jugement moral. Lorsqu’un des auditeurs a demandé
combien gagnait cette travailleuse sexuelle, j’ai été particulièrement
surprise que l’animateur, qui est un homme dont il était raisonnable de
penser qu’il serait plutôt conservateur, a souligné que son invitée
n’avait pas à répondre à ce type de questions qui, selon un avocat qui
est intervenu pour parler de la constitution, n’aurait été posée à aucun
autre invité.
AWID : Dans l’introduction du livre, vous posez la
question suivante : « Les travailleuses du sexe sont-elles des victimes
ou des bastions de la sexualité féministe ? » Pour rédiger cet ouvrage,
vous vous êtes entretenues avec plusieurs travailleuses du sexe. Quelle
est, selon vous, leur opinion à ce sujet ?
ZAWADI : Toutes les femmes dont les histoires ont
été reprises dans le livre ont participé à l’ILFA organisé par AMwA, et
une partie de l’Institut a abordé la question du féminisme et de la
construction du leadership féministe. C’est pourquoi, même si au début
de l’Institut certaines femmes ne s’étaient pas présentées comme
féministes, elles l’étaient devenues à la fin de cette rencontre, comme
en témoigne l’engagement des travailleuses du sexe présentées à la fin
du livre ; ces femmes sont résolues à remettre en question le concept
fallacieux de femmes « bonnes » ou « mauvaises », à prendre leurs
propres décisions, à défier le patriarcat, à refuser les politiques de
répression vis-à-vis de leur corps et à surmonter toutes les limitations
qu’il faudra pour parvenir à l’autodétermination. Elles ne souhaitent
pas être vues comme des victimes mais comme des personnes agissantes.
Elles trouvent les façons de négocier l’argent, le sexe et le pouvoir.
Les travailleuses du sexe qui se voient elles-mêmes comme victimes
sont souvent plus vulnérables aux risques de grossesses non désirées, de
sévices, de viols, d’infections par transmission sexuelle, d’esclavage
sexuel, voire de trafic. C’est pourquoi le livre When I Dare to be
Powerful inclut plusieurs conseils sur la gestion des risques proposés
par les travailleuses du sexe durant l’ILFA. Ces conseils ont été
appréciés par d’autres travailleuses du sexe et activistes des droits
des travailleuses du sexe du monde entier qui, après la lecture de ce
livre, ont signalé que cette liste de conseils était l’une des plus
utiles et des plus complètes qu’elles aient jamais vue.
AWID : Quel est le rapport entre les principales
organisations de droits des femmes et les organisations et activistes
des droits de travailleuses du sexe dans la région ?
ZAWADI : Beaucoup de travailleuses du sexe doutent
qu’il y ait un espace pour elles au sein du mouvement féministe car
celui-ci est encore divisé quant à l’inclusion de la cause des droits
des travailleuses du sexe. Rares sont les organisations qui apportent un
soutien ouvert à l’action des travailleuses du sexe : Tanzania Gender
Networking Programme in Tanzania, Urgent Action Fund –Africa et Trust
for Indigenous Culture and Health au Kenya, et naturellement AMwA en
Ouganda.
AWID : Comment expliquer cette situation ? Est-ce
que le travail du sexe est considéré comme « immoral » ou parce qu’il
n’est guère question dans les médias des abus commis contre les droits
des travailleuses du sexe ?
ZAWADI : C’est un mélange des deux. D’une manière
générale, les gens sont réticents à parler de sexe, de sexualité et donc
de travail du sexe. Beaucoup ne le reconnaissent même pas comme un
travail, où il existe un accord formel ou informel de paiement entre le
prestataire du service et le client. Les organisations des droits des
femmes préfèrent souvent éviter d’être stigmatisées par ce qu’elle
considère comme des « questions liées au lesbianisme » ou « questions
liées aux travailleuses du sexe », sans considérer qu’il s’agit de
questions de droits humains et non de moralité. C’est pourquoi beaucoup
reste encore à faire au sein du mouvement des droits des femmes pour
qu’il représente vraiment le caractère indivisible et inaliénable des
droits humains.
Par ailleurs, la majorité des travailleuses du sexe travaille de
façon clandestine en raison de la législation en vigueur, ce qui a
favorisé leur invisibilité. La situation juridique commence précisément à
évoluer sous la pression des organisations de travailleuses du sexe
dont la création dans la région ne remonte qu’à trois ou cinq ans au
plus. Il est en effet plus probable que les organisations principales
prennent en charge des problèmes rendus visibles par des organisations
de base marginalisées. Le développement des mouvements pour la santé et
les droits sexuels dans la région se manifestent également par la
consolidation des mouvements des organisations féministes. Tel est le
cas dans le plaidoyer actuellement mené à bien à propos du projet de loi
dit Bahati Bill*en Ouganda où la campagne a été dirigée par des
partenariats entre les organisations de LGBTI et des organisations et
activistes féministes qui ont ainsi réussi à mobiliser l’appui de
plusieurs autres organisations d’intégration des questions de genre de
la société civile. (...)
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Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’intégralité de l’article sur le site AWID