Les "Fourmis rouges" expulsent violemment des familles de Johannesburg



Des "Fourmis rouges" avant l'expulsion de résidents d'immeubles de Johannesburg. Photo : Nigel Branken.


Les "Fourmis rouges" expulsent violemment des familles de Johannesburg

Il n’aura fallu qu’une journée pour que les habitants d’un bloc d’immeubles du quartier pauvre de Berea, à Johannesburg, se retrouvent à la rue. Mardi, une compagnie de sécurité privée a envoyé des hommes, armés de fusils et de pied de biche, qui n’ont pas hésité à balancer par les fenêtres tous les biens des occupants. Une application brutale et singulière d’une décision de justice, filmée et dénoncée par notre Observateur.
Le quartier de Berea, situé au cœur de Johannesburg, compte de nombreux immeubles désaffectés, abandonnés par leurs propriétaires faute de rentabilité. Une pratique est désormais courante : des escrocs n’hésitent pas à revendiquer la propriété de ces biens immobiliers et contraignent les habitants à leur payer un loyer, en toute illégalité. Selon des documents juridiques et le témoignage de plusieurs résidents, c’est ce qui s’est passé au Ridge Hotel de Berea, un ancien hôtel transformé en un ensemble d’immeubles résidentiels, comptant environ 300 appartements.
Après avoir tenté sans succès de faire renvoyer les faux propriétaires, en faisant notamment appel à une compagnie de sécurité privée, le propriétaire d’origine de l’hôtel, la société Tenitor, s’est finalement résolu à demander à une cour de justice d’émettre un ordre d’expulsion des résidents de l’immeuble.
Selon Louise du Plessis, membre de l’association des Avocats des droits de l’Homme d’Afrique du Sud, "il est très compliqué pour les propriétaires de traîner ces escrocs en justice : la ville voudrait bien s’en débarrasser, mais il y a tellement d’autres cas plus graves de délinquants et criminels à traiter, que ce genre d’affaires n’est pas dans les priorités de la justice. Même si un faux propriétaire tombe après une longue procédure judiciaire, il y en aura beaucoup d’autres pour prendre sa place. C’est donc bien plus facile pour le propriétaire d’origine d’obtenir une décision l’autorisant à expulser tous les locataires, pour ensuite revendre l’immeuble".
C’est ce qu’a décidé de faire Tenitor. Les résidents ont fait appel, sans succès, et ont été contraints mardi 14 juillet de quitter les lieux. Le sheriff local a autorisé une des nombreuses compagnies de sécurité privée du pays a envoyer ses "Red Ants" ("Fourmi rouges"), nom donné aux employés des sociétés en charge des expulsions musclées de résidents.
Le shérif de la police de Johannesburg , en charge de l’expulsion, a refusé de répondre aux questions de France 24. Le porte parole de Tenitor n’a pour sa part pas donné suite à nos sollicitations. Il a néanmoins exprimé sa sympathie aux résidents expulsés
dans une interview à une télévision locale
, expliquant qu’il n’y avait aucun autre moyen pour le propriétaire de recouvrer ses dettes.
Louise du Plessis ajoute :
"Généralement, ces immeubles sont abandonnés par leurs propriétaires, et des escrocs, par diverses astuces ou tout simplement par la force, se font payer le loyer par les résidents. Il y a de telles difficultés pour se loger dans cette zone de la ville, que les gens sont désespérés et finissent par obtempérer et payer à des personnes qui ne sont absolument pas propriétaires". Les shérifs font appel aux ‘Fourmis rouges’ depuis des années maintenant. La première entreprise de ce genre portait ce nom, ‘Red Ants’, mais désormais, le terme est utilisé pour désigner les employés de toutes les entreprises qui gèrent les expulsions, dont les membres sont en général vêtus en rouge. Ces employés sont souvent pauvres, travaillent en intérim à la journée, et ne sont pas franchement formés pour ce genre d’emploi. Il n’y a vraiment aucune raison pour qu’ils procèdent aux expulsions d’une façon si inhumaine".
"Ils chantaient en agitant leur pied de biche : ils jouaient clairement la carte de l’intimidation"
Nigel Branken est un activiste qui vit à Hillbrow, un quartier adjacent à Berea. C’est un des rares Sud-africains blancs à habiter cette zone pauvre de Johannesburg. Il a déménagé avec sa famille pour aider à
mettre en lumière les nombreuses difficultés quotidiennes des habitants.
La nuit précédent l’arrivée des Red Ants, j’ai entendu dire qu’une expulsion de masse allait être organisée le lendemain matin. J’ai contacté rapidement quelques autres activistes et nous avons décidé de nous rendre sur place pour témoigner. Les résidents étaient censés être prévenus de leur expulsion 48 heures en avance, mais selon eux, ils n’ont appris qu’à 3 h du matin qu’elle commencerait le jour même, à 10 heures ! Nous nous sommes rendus sur place à l’aube pour attendre l’arrivé des "Fourmis rouges". J’en avais déjà rencontré quelques semaines auparavant lors d’une précédente expulsion dans une autre partie de la ville, et j’avais vu certains d’entre eux voler des biens aux gens qu’ils étaient en train de jeter dans la rue.
À l’hôtel Ridge, de nombreux résidents avaient déjà mis leurs affaires sur le trottoir. La mission n’est pas facile : l’immeuble fait 14 étages, l’ascenseur ne marche pas, et certains étaient là depuis 15 ans et avaient donc accumulé beaucoup de choses.
Dans cette vidéo, selon notre Observateur, les voix qui peuvent être entendues sont celles de "Fourmis rouges" chantonnant et s’encourageant mutuellement lors de l’expulsion.
Vers 9h30, environ 200 "Fourmis rouges" sont arrivés, dans des véhicules esquintés, portant des uniformes trop grands ou mal taillés. Ils chantaient en agitant leur pied de biche : ils jouaient clairement la carte de l’intimidation.
Des Fourmis rouges montent dans l'immeuble par les escaliers extérieurs.

Les "Fourmis rouges" ont pointé leurs fusils vers les immeubles, comme s’ils avaient peur que les résidents ne leur jettent des choses à la figure depuis les fenêtres. Ensuite, ils ont dégagé l’entrée des immeubles en balançant les affaires des résidents de l’autre côté de la rue, créant un désordre monstre. Ils sont alors entré, et ont pris tout ce qui restait dans les appartements. Beaucoup de gens n’avaient pas voulu croire à l’expulsion et n’avaient même pas commencé à faire leurs affaires. Certains ont refusé de bouger et ont été évacués de force. J’ai vu un homme avec la bouche en sang, qui m’a assuré qu’il avait été frappé. Une femme m’a aussi raconté qu’elle avait mis toutes ses économies dans son matelas et que, celui-ci ayant été jeté sur le trottoir, elle ne le trouvait plus. Des enfants criaient et pleuraient sur le trottoir. Aucun plan de relogement n’était prévu.
Des Fourmis rouges casse un mur près des immeubles, pour faciliter la sortie des biens des appartements. 
"Des ‘Fourmis rouges’ m’ont pris en chasse pour m’empêcher de continuer à filmer"

Des policiers étaient présents, mais regardaient la scène de loin. À plusieurs reprises, le chef des "Fourmis rouges" m’a ordonné d’arrêter de filmer. J’ai refusé, arguant que j’avais le droit de filmer dans l’espace public. Ça a fini par l’énerver et deux "Fourmis rouges" m’ont pris en chasse, me menaçant avec des pied de biche. J’ai couru vers les policiers et demandé leur protection, et je suis resté là jusqu’à ce que ces deux employés s’en aillent. Les résidents m’ont dit qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait, affirmant tous qu’ils payaient leurs loyers. Mais beaucoup ne semblaient pas vraiment savoir qui était le propriétaire de l’immeuble. Ils se contentaient de dire que tout ce qu’ils voulaient, c’était payer et rester chez eux. Ils sont nombreux à avoir passé la nuit dans la rue, pour veiller sur leurs biens, mais ils se sont depuis dispersés et logent chez des amis ou de la famille.
Pour moi, les résidents comme le propriétaire sont les victimes dans cette histoire. Mais je ne comprends pas pourquoi le shérif a autorisé l’intervention de "Fourmis rouges". Il n’y a pas besoin de faire les choses de manière si agressive. J’espère que les images que j’ai prises et celles de mes amis permettront de mettre fin à ce genre de comportement."

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