Sida,
les nouvelles armes de l’Afrique (1). Homosexuels, professionnels du
sexe, usagers de drogues… Pour atteindre les personnes les plus
stigmatisées, des associations mettent en place un dépistage mobile et
démédicalisé.
Par Sophie Douce Créer une relation de confiance
« On prend des risques, parfois les clients nous demandent de faire ça sans préservatif contre une plus grosse somme d’argent », confie Princess. « Je ne veux pas aller dans les centres de santé, c’est loin et j’ai peur du regard des médecins. Ici, l’association vient s’occuper de nous, on peut se faire dépister en dix à quinze minutes de manière anonyme. » Une autre jeune Nigériane lance un « je voulais faire un test pour être sûre, je suis rassurée ! », en montrant son test négatif, sourire aux lèvres, avant de filer pour accueillir ses premiers clients.Tous les trois mois, ses équipes, composées d’une dizaine de bénévoles, se déplacent de nuit sur les points chauds de la capitale pour proposer tests de dépistage, conseils et préservatifs gratuits. « Ça a pris du temps au début, il a fallu négocier avec les gérants et rassurer les filles. Une fois qu’elles ont compris que nous n’étions pas là pour les dénoncer mais pour les protéger, elles nous ont fait confiance », poursuit-elle.
« Perdues de vues »
Une confiance précieuse, gagnée peu à peu grâce à un réseau d’une dizaine de « pairs », d’anciennes prostituées et d’autres en activité, toutes recrutées et formées pour jouer le rôle de médiatrices. Parmi elles, Deborah, 31 ans, discute avec les proxénètes et convainc les femmes de se faire dépister depuis trois ans maintenant. « On me connaît là-bas, les filles se confient et m’appellent dès qu’elles ont un souci ou une question. Je suis un peu comme leur grande sœur », explique cette bénévole. « Dans ce métier, on ne sait jamais, il y a beaucoup de risques. Tu croises toutes sortes d’hommes, certains peuvent percer le préservatif, on entend des histoires de viols aussi », confie cette mère célibataire, qui « sort dans la rue » pour subvenir aux besoins de ses deux enfants.« Certaines n’ont pas de moyens de transport ou se découragent, c’est un frein », constate Adama Lengané, le médecin bénévole, à son petit bureau. Ce matin-là, il reçoit en consultation une patiente séropositive venue pour des lésions cutanées. « Je n’ai pas pu faire le déplacement avant », s’excuse la femme de 23 ans, qui a mis près de deux heures pour venir à vélo, son bébé sur le dos. « Elle n’a pas pris son traitement pendant six mois, elle a eu un bébé entre-temps, heureusement séronégatif. Ils ont eu beaucoup de chance, glisse le docteur, soulagé, en auscultant l’enfant. Le plus gros souci, ce sont les “perdues de vue”, il y en a qui changent de numéro de téléphone et disparaissent dans la nature. »
Rassurer, un enjeu crucial
« Accepter la maladie est l’étape la plus difficile. Certaines prennent peur et se disent qu’elles sont condamnées à mort et fuient. Il devient alors très difficile de les retrouver », explique la psychologue Martine Nakoulma. Face à une maladie encore taboue dans le pays, rassurer les prostituées séropositives, dont certaines sont mariées, mères de famille ou encore mineures, est donc crucial.Sa plus grande fierté ? « Voir les patientes grandir : certaines trouvent un travail, se marient et ont même des enfants. ». Surtout, se réjouit Djénéba Ouedraogo, « 75 % des patientes que je suis depuis deux ans ont une charge virale presque indétectable aujourd’hui et vivent normalement. » Une vraie victoire.
Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.
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