Grève générale « féministe » sans précédent en Espagne



Grève du métro et des trains, piquets devant les grands magasins, présentatrices-vedettes absentes des médias : l'Espagne s'est mobilisée pour les droits des femmes jeudi, avec une grève générale « féministe » sans précédent dans le pays.
L'appel de syndicats et d'organisations féministes, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, a pour but de défendre l'égalité salariale et de dénoncer le harcèlement ou la violence contre les femmes.
La mobilisation a démarré mercredi à minuit par des concerts de casseroles dans le centre de Madrid, mais la principale manifestation était annoncée pour jeudi soir.
Les deux principaux syndicats espagnols, UGT et CCOO, ont appelé à un arrêt de travail de deux heures, observé selon leurs estimations par 5,3 millions de personnes à travers le pays.
Dix autres syndicats avaient appelé à une grève toute la journée, inspirée d'un mouvement similaire en Islande en 1975.
La radio la plus écoutée par les Espagnols, la Cadena Ser, avait perdu ses voix féminines. Les stars des émissions matinales de télévision étaient aux abonnés absents. Et les femmes journalistes désertaient la rédaction du premier quotidien espagnol, El Pais.
Près de 300 trains ont été annulés et des rassemblements se sont formés dans une multitude de villes pendant l'arrêt de travail à la mi-journée.
Paula Biempica, employée de banque de 39 ans rencontrée par l'AFP à Madrid, disait faire grève pour la première fois de sa vie.
« Beaucoup d'entre nous avons renoncé à des promotions pour nous consacrer à la maison et à la famille », disait cette mère avec quatre enfants à charge, reprochant au monde de l'entreprise de ne toujours pas permettre de concilier maternité et travail.
« Je suis asphyxiée », affirmait Eva Ferrero, 48 ans, disant assurer un travail à temps partiel de femme de ménage payé 700 euros mensuels [environ 1100 $ CA] et passer le reste de sa journée à s'occuper de sa mère malade et de ses deux enfants.
Elle manifestait face à une grande enseigne commerciale de l'avenue Gran Via, où les grévistes appelaient exceptionnellement à ne pas consommer, afin de ne pas obliger vendeuses et caissières à travailler.
Des femmes employées à domicile, ne pouvant délaisser les personnes âgées et les enfants dont elles s'occupent, avaient prévu d'accrocher symboliquement des tabliers aux balcons.
Des milliers de femmes rassemblées à Bilbao utilisent leurs mains pour former des triangles, symbole du sexe féminin. Photo : Reuters/Vincent West
À Barcelone, Amira Malainne, étudiante de 23 ans coiffée d'un hijab violet - la couleur de la cause féministe en Espagne -, affirmait avoir « plus de raisons de quiconque d'être ici. Nous subissons une triple discrimination: parce que nous sommes des femmes d'origine étrangère et musulmanes ».
L'Espagne est cependant pionnière dans la lutte contre les violences faites aux femmes, s'étant dotée dès 2004 d'une loi spécifique, présentée comme un « modèle » par le Conseil de l'Europe.
En Espagne, les femmes sont payées en moyenne 14,2 % de moins que les hommes, un peu mieux que la moyenne européenne (16,2 %) selon Eurostat.
Des progrès qui restent insuffisants
Selon la Fondation des études d'économie appliquée, l'écart salarial entre les hommes et les femmes s'est réduit de 33 % en Espagne depuis 2002. Les syndicats espagnols soulignent toutefois que les femmes occupent toujours 62 % des contrats de travail à durée déterminée et 74 % des emplois à temps partiel.
« Il reste encore beaucoup de travail à faire : les femmes ont les retraites les plus faibles, les emplois les plus précaires, elles réalisent encore l'essentiel des travaux domestiques, sont trop souvent questionnées quand elles portent plainte pour viol, et près de 1000 ont été assassinées en 14 ans », affirme Ruth Caravantes, de la commission 8M.
Ce regroupement d'organisations féministes est à l'origine du manifeste d'appel à la grève, qui propose de « stopper le monde » pour exiger « l'égalité des droits et des conditions de vie ».
Source : Le Monde
Mais des débats passionnés s'y tiennent depuis des semaines, alimentés notamment par les déclarations de deux femmes ministres en faveur d'une « grève du zèle », qui a scandalisé la gauche.
Le chef du gouvernement, le conservateur Mariano Rajoy, s'est démarqué de leurs propos. « La journée d'aujourd'hui sert à lancer un débat et à nous faire, à tous, prendre conscience », a-t-il déclaré jeudi devant des membres de son parti, un ruban violet attaché à sa veste.
La présidente conservatrice du Congrès des députés Ana Pastor a aussi défendu le droit de grève. « Il y a des hommes qui continuent à penser que les femmes étendent mieux le linge », disait-elle jeudi.
La numéro deux du gouvernement Soraya Saenz de Santamaria a assuré qu'il restait « encore bien des choses à changer, car même les vice-présidentes du gouvernement doivent subir des comportements machistes inacceptables ».
Le mouvement est aussi suivi par des actrices célèbres comme Penelope Cruz ou Rossy de Palma, égéries du cinéaste Pedro Almodovar qui, de film en film, a rendu hommage aux femmes espagnoles.
Penelope Cruz a annulé sa participation à divers événements et a annoncé qu'elle laisserait son compagnon, l'acteur Javier Bardem, s'occuper de leurs enfants.
« Si les femmes baissaient les bras, le ciel nous tomberait sur la tête », a écrit Rossy de Palma sur Instagram.

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