Polly Penrose, une
photographe anglaise, fait de son corps de femme normale (c’est ainsi
qu’elle se définit) un accessoire en réaction à un lieu, en général une
demeure vidée de ses résidents.
La
photographe londonienne a commencé par pratiquer ses autoportraits à la
sauvette dans des maisons en attente de nouveaux acquéreurs. La
procédure était et est toujours la même.
En premier lieu, se
renseigner et demander les autorisations d’usage auprès d’agences
immobilières, en expliquant péniblement la finalité de sa démarche,
jugée dans bien des cas, étrange voire dérangeante.
Puis se rendre
sur place, s’imprégner du domicile désaffecté tout en étant attentive
aux traces résiduelles, à la géométrie de la banalité des maisons de
banlieue.
Enfin prendre des clichés au retardateur, en une poignée
de secondes, se précipiter, prendre la pose en cachant son visage et
dans neuf cas sur dix, obtenir un effet désastreux ou non désiré
accompagné d’hématomes ou petites blessures accidentelles.
Polly
Penrose prend donc ses photos dans la lumière du jour, sans aucun moyen
additionnel. Elle réagit au lieu, l’accessoirise avec son corps sans
identité précise, et exécute l’idée dans l’urgence du retardateur
photographique.
Les
images de Polly Penrose sont par conséquent la résultante de
performances, des autoportraits corporels anonymes, dénués d’ailleurs de
tout érotisme. Si elle cache son visage c’est avoue-t-elle parce
qu’elle n’a pas le courage de se montrer comme personne et qu’en outre
lorsque son visage apparaît accidentellement en raison de la
précipitation de la pose, elle a toujours considéré que l’identification
brisait le propos. En ceci elle s’inscrit dans la lignée de photographe
tels que
Ren Hang,
Yung Cheng Lin,
Pixy Liao ou
Butz & Fouque.
La
séance photographique est avant tout une relation physique au lieu, une
danse syncopée en autoportrait anonyme, personnifier les clichés ce
serait introduire le risque de la narration et l’érotisation.
D’ailleurs, dans le même registre, mais précisément comportant une
dimension narrative on peut citer
Anna di Prospero.
Polly
Penrose est, sur quelques points, proche du mouvement Fluxus qui voyait
dans les performances un jeu d’idées ou de mots exécuté suivant une
partition préétablie. La photographe finlandaise
Elina Brotherus
a réactivé cette démarche dans des séries photographiques présentant
des similarités avec Polly Penrose. Il y a toutefois une différence
notable en ce sens que les autoportraits d’Elina Brotherus sont
réellement autobiographiques tout du moins pour partie de plus ils
obéissent strictement au schéma suivant : une idée, une procédure, une
image.
Chez Polly Penrose l’idée est avant tout intuitive et
suggérée de manière contingente par les demeures où elle se rend. C’est
surtout une danse avec le lieu dont le corps devient un élément qui doit
trouver sa place. La sculpture visuelle ne réside pas seulement dans la
pose d’un corps devant un décor de circonstance, la sculpture
photographique est une installation du corps dans un espace, le tout
formant le lieu comme portrait et résultante d’une danse-performance. En
ceci, les sculptures-images de Polly Penrose font penser, par l’humour
et les disruptions plus ou moins surréalistes, au travail d’Erwin Wurm,
notamment les One Minute Sculptures et Photographic Sculptures.
Dans
l’action de l’autoportrait en accessoire le corps n’est pas le vecteur.
Ce rôle est dévolu au lieu. Quant au corps il est l’élément incongru,
hétérogène, l’accident dans le décor qui devient ainsi un ensemble
sculptural où animé et inanimé s’hybrident le temps d’un happening
solitaire et fugace.
Il y eut le Land Art, le Body Art, on pourrait oser le Props Art.
Repères biographiques :
Polly
Penrose a étudié le design et le graphisme au Camberwell College of
Arts à Londres. Elle a travaillé dans la mode avant de collaborer avec
le photographe Tim Walker.
En 2008, sa pratique de la photographie
est devenue plus intense à partir du moment où elle obtint le prix de
la London Photographic Association.
En 2014, première exposition personnelle, “Body of Work” à la Mother Gallery.
Polly
Penrose a fait l’objet de nombreuses parutions dans de grands magazines
tels que The British Journal of Photography, The Huffington Post, Forth
Magazine, The Wild ou Dazed Digital.