Le journaliste Rouhollah Zam pendu en Iran

marianne.net

Le journaliste Rouhollah Zam pendu en Iran : "Une exécution sommaire pour terroriser les opposants"

Martine Gozlan

Marianne : Réfugié politique en France, puis kidnappé en Irak par les services  de Téhéran, le journaliste et opposant Rouhollah Zam vient d’être exécuté. La France et l’UE condamnent « un acte barbare » qui risque de peser lourdement sur les relations avec l’Iran. Que sait-on de cette mise à mort et de ses raisons ?

Azadeh Kian : Il s’agit d’une exécution sommaire. Rouhollah Zam n’a même pas été informé par les autorités judiciaires qu’il devait être exécuté alors que la loi oblige à prévenir le condamné. Son père, un mollah, est allé le voir dans sa prison dans la nuit qui a précédé l’exécution. Le père savait et il s’est rendu compte que son fils n’était au courant de rien. Alors il ne lui a pas dit que la condamnation à mort serait appliquée quelques heures plus tard. C’est une situation absolument terrible. Ils l’ont pendu à l’aube. Tout a été organisé par les Gardiens de la révolution. Rouhollah a été victime de plusieurs choses. D’abord des rivalités de plus en plus violentes entre les services de renseignement officiels du gouvernement et les services des Gardiens. Ce sont les Gardiens qui l’ont piégé en Irak pour le kidnapper. En Iran il était aux mains des Gardiens. Et ce sont eux, bien sûr, qui ont organisé le procès, planifié le verdict et l’exécution, d’une rapidité inédite en Iran depuis bien des années. Ensuite, Rouhollah, sur sa chaine Amad News, lancée de son exil français, diffusait des informations sur le cœur du régime.
Il avait largement contribué à relayer le grand mouvement de contestation populaire – des émeutes de la faim- qui secouait l’Iran, de ville en ville, fin 2017 et début 2018...

Pas seulement. Bien sûr, il diffusait les images des manifestations. C’est ce que faisaient d’autres opposants. Mais il avait aussi divulgué les comptes bancaires de l’ex-chef du pouvoir judiciaire, l’ayatollah Sadegh Larijani ( son frère Ali Larijani a été président du Parlement jusqu’en mai 2020). Ces révélations ont été un choc pour le régime car Rouhollah Zam a eu accès à des informations ultra-confidentielles. Son exécution a donc plusieurs causes et plusieurs objectifs. L’intimidation de l’opposition, la vengeance personnelle, la rivalité entre services de renseignements que j’évoquais plus haut. A cela s’ajoute le fait que, réfugié en France, il avait une protection policière dans notre pays.

Mais certaines sources, précisément, pointent du doigt la responsabilité des services français qui l’auraient laissé partir en Irak, là où il a été enlevé. On évoque même un deal entre Paris et Téhéran qui aurait permis de libérer plus tard l’universitaire Roland Marchal. Qu’en pensez-vous ?

C’est invraisemblable. Les services français lui ont au contraire vivement déconseillé de se rendre en Irak. Et la libération de Roland Marchal a été obtenue en échange de la libération d’un ingénieur iranien que réclamaient les États-Unis et qui était emprisonné en France. Il a été mis dans un vol Paris-Téhéran au moment où les portes de la prison s’ouvraient devant Roland Marchal. Il faut se méfier des thèses complotistes ! En réalité Rouhollah n’a pas écouté les services français. Il était d’une grande naïveté, soulignent ses amis. Mais il n’est pas le seul à s’être fait piéger par les services des Gardiens de la Révolution.

Qu’est-ce qui a pu le pousser à partir en Irak, un pays contrôlé par l’Iran ?

Ce qui a déclenché son départ, c’est qu’on lui a fait miroiter la possibilité d’une interview, prélude à un financement de sa chaine Amad News par l’Ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité religieuse des chiites, qui vit à Nadjaf.  Il fallait être très naif effectivement pour croire que Sistani s’engagerait dans un activisme politique de l’opposition iranienne ! Cela dit, Rouhollah n’est pas  le seul opposant piégé et kidnappé. Récemment, les services se sont débrouillés pour en kidnapper un autre à Istanbul. Il y a aussi l’affaire du médecin irano-suédois Ahmad-Reza Jalali. Invité à une conférence en Iran, il a été arrêté, accusé d’espionnage au profit d’Israël et condamné à mort. Il risque d’être exécuté, lui aussi. Plusieurs Nobel et de nombreux universitaires se sont mobilisés pour lui. En ce moment le gouvernement suédois est en pleine négociation avec Téhéran pour obtenir sa grâce.

Il y a donc une vague de répression meurtrière à l’heure où on pensait que l’arrivée de Joe Biden changerait la donne ?

Les ultras veulent absolument gagner l’élection présidentielle en mai 2021. Or l’arrivée de Biden conforte l’actuel président Rohani. Il leur faut donc absolument empêcher un accord Biden-Rohani. D’où le déclenchement d’une vague de terreur qui ne peut que modifier la politique du futur président américain démocrate face à l’Iran. Mais aussi celle de l’Union européenne, prête à soutenir Rohani. Pulvériser les relations avec la France, c’était un autre objectif de l’exécution de Rouhollah Zam qui a été réfugié politique ici. Il a été condamné sur 13 chefs d’inculpation et un seul suffisait à ce qu’il encoure la peine capitale.

*Azadeh Kian est professeur de sociologie à l’Université de Paris. Dernier ouvrage paru : «  Femmes et pouvoir en Islam », Michalon.

A LIRE AUSSI : En Iran, les ultraconservateurs visent Trump, Israël et le gouvernement